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Auguste Crépuscule Vengeur
Auguste Crépuscule Vengeur
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Auguste Crépuscule Vengeur
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6 février 2012

And yet another pointless piece of sh... erm, work.

"L'atelier" de Boris était une pièce pour le moins singulière. Délimité par quatre cloisons miteuses qu'on aurait crues constituées de morceaux de pain d'épice glués les uns aux autres à la hâte, ce cagibi imperméable à toute intrusion extérieure - excepté la pluie, baignait en permanence dans un brouillard opaque constitué à 75% de mystère, et 25% de fumée de joint. Quant à l'analyse poussée de l'ambiance olfactive, il serait vain d'espérer obtenir des résultats convaincants sans consultation préalable d'un comité de nez éminents. Un des murs était partiellement tapissé de faïence de salle de bains style Philippe Nonante qui accueillait un petit établi vétuste croulant sous un amas de babioles biscornues. Parmi ces reliques, on pouvait trouver un décélérateur de particules de céleri rémoulade fonctionnant avec quatre piles, un couvercle de poubelle à l'éffigie de Gaston Lagaffe, le tout premier prototype de boomerang sous-marin, jamais breveté, une collection de héros Marvel miniature sculptés dans des bouchons de liège, et une Renault 5 en nougatine à l'échelle 1/43 à peine entamée, entre autres. Dans un coin de la caverne trônait un édicule de ouatères dont les parois bricolées se dandinaient à loisir dans un concerto de tôle qui ondule. En guise de source lumineuse, un seul et unique néon, véritable aimant à moustiques, faisait vivre ce royaume des ombres, avec le soutien d'une lampe de bureau à triste allure, mais de bonne volonté. Quant à la lumière du jour, elle semblait depuis des lustres avoir renoncé à traverser les vitres.

Ce matin-là, Boris se réveilla dans son lit, en sueur, la tête enfouie sous son traversin obèse. Une nuit agitée. Il eût tant aimé qu'elle fût passée dans ce même lit auprès d'une jeune fille aux attributs mammaires prohéminents, ou même sur le parquet à ingérer des bières sans alcool gracieusement apportées par un groupe de comparses festifs. Il n'avait hélas eu pour seule compagnie le grondement sonore de son estomac qui se tuait à la tâche. Mauvaise digestion. Boris pouvait se targuer d'avoir mis au point une savante décoction médicale à base de résines diverses, dont le contact avec les sucs gastriques engendrait un ralentissement considérable de la décomposition d'aliments récemment ingurgités. Le patient se soumettait ainsi au principe dit de "constante éructatoire" permettant de conserver jusqu'à trois semaines les nombreux effets inhérents à la consommation de certaines denrées riches. Son invention n'avait pas reçu le succès escompté auprès des nutritionnistes, mais bénéficiait néanmoins d'une certaine notoriété parmi ses amis amateurs de gastronomie américaine à qui il en cédait régulièrement des cagettes entières, moyennant menue finance. Il avait donc manifestement avalé le contenu d'un flacon posé sur le rebord du lavabo la veille au soir. Il fut soudain saisi d'un vertige hallucinatoire dans lequel il se voyait, livide, amorphe et froid, étalé dans un lit d'hôpital, avec à son chevet sa pauvre famille à qui un médecin trapu, chauve et édenté travesti en Faucheuse pour l'occasion raconterait comment, par négligence, leur fils avait succombé à un empoisonnement via l'absorption d'un échantillon de gel douche dérobé furtivement à l'insu de la femme de chambre dans un hotel formule un quatre ans auparavant. Ce scénario catastrophe lui donna des sueurs froides, et il se décida à jeter le petit flacon de gel douche en question avant que la prophétie ne se réalise. Et puis, sérieusement, ce médecin enveloppé de noir, pensa-t-il, avait de quoi vous dissuader de jouer avec la vie, si c'était ce à quoi le vrai visage de La Mort ressemblait. En plus, il exhalait une forte odeur de camomille.
   
Depuis peu, Boris se plaignait de vertiges associés à des hallucinations auditives assez troublantes. La veille encore, il avait cru ouïr sa voisine sexagénaire lui susurrer des mots doux via le siphon de la baignoire. Lorsque sa vie sociale déjà peu développée s'en trouva affectée, il se décida à enfourcher sa bicyclette avant de s'apercevoir qu'il n'en restait que la frêle carcasse solidement attachée à un poteau au bas de son immeuble. Bien que déjà fort las après la descente depuis son appartement, par l'ascenseur, il se refusa à en rester là, et insuffla à ses jambes endolories une cadence bancale qui put bientôt s'apparenter à la foulée hésitante d'un octogénaire atteint d'arthrite. Son rythme de croisière lui permit quelques instants d'apprécier l'architecture des bâtiments de son quartier, témoins décrépis d'une époque obscure dont il ne suivaient les rebondissements majeurs que grâce à sa page accueil Google. Il put également découvrir à l'angle de sa rue bon nombre de petits commerces qui lui semblèrent avoir germé là pendant la nuit comme par echantement. C'est à ce moment-là qu'il réalisa, entre deux râles profonds, qu'il était incapable d'évaluer le temps depuis lequel il ne s'était pas aventuré hors de sa grotte.
Boris avait arrêté voilà deux ans ses études en acupuncture stellaire et ne vivait que de la vente par correspondance de cendriers en terre cuite faits main, business somme toute prometteur auprès des ménagères de plus de cinquante ans.

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